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18 mars 2016

A l'ami Jacques Salvator. Hommage de Didier Daeninckx

Didier Daeninckx nous a fait parvenir ce texte d'hommage à Jacques Salvator. Celui-là même qu'il a lu sous les voutes de l'église Notre Dame des Vertus. Ainsi tous ceux qui n'ont pu l'entendre pourront le lire ici. De même, ceux qui souhaitent pouvoir le retrouver.  Un grand merci à lui.

A L’AMI JACQUES SALVATOR

Le nom de Jacques Salvator est aujourd’hui indissociable de celui de la ville qui a toujours été le décor de sa vie.
J’ai connu Jacques dès son arrivée à Aubervilliers, en 1958. Il habitait à mi-chemin de la cité Robespierre d’où je partais le matin pour rejoindre l’école Gabriel Péri.
Nous avons souvent évoqué un instituteur de légende, Michel Lejeune, avec lequel il avait gardé de solides relations et qui a infléchi son parcours. Puis, au collège, il y a eu monsieur Fegli, Audard, Monsieur Phuelpin qui gravait des timbres pour le compte du ministère de Postes. Et surtout monsieur Abadie qui avait compris que Jacques et moi éprouvions des difficultés avec l’enseignement traditionnel et nous avait confié la tâche d’écrire les articles et de publier le journal du collège.
Cette sorte de « sortie des clous », cette confiance accordée ont été pour beaucoup dans notre évolution.
L’enfance studieuse était alors rythmée par le fracas des bombes, par les souffrances du peuple algérien, et chaque semaine, les gens du quartier Montfort se rassemblaient à hauteur du marché, près de l’étal de fruits et légumes de la maison Salvator, pour peser en faveur de la Paix.
Le conflit a fait irruption dans la quiétude du collège Gabriel Péri quand la mère d’un de nos amis a été tuée lors de la manifestation de Charonne. Le directeur, monsieur Joye, a rassemblé tous les élèves dans la cour. Elle s’appelait Suzanne Martorell, et le souvenir de cette douleur est toujours resté dans le cœur de Jacques qui a tenu, lorsqu’il est devenu maire à honorer sa mémoire.
Je me souviens de certains noms de ceux avec qui nous jouions au foot. Terrice, Appruzesse, Conti, Yayahoui, Mairesse. Fela, dont les parents tenait un commerce de charcuterie italienne sur le marché du Centre, et qui organisait des « surprises-parties » dans le local de réserve de l’avenue Edouard-Vaillant, où nous dansions, et Jacques aussi, dans le parfum des pâtes fraîches et du salami.
Plus tard, une autre guerre s’est inscrite à l’agenda du monde, celle du Vietnam. Jacques fréquentait alors la paroisse Saint-Paul, rue du Buisson, et il avait fait la connaissance de prêtres ouvriers, de religieuses qui habitaient dans des appartements du quartier, au plus près du peuple. Il impulsait alors l’activité d’un groupe de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne.
De mon côté, je militais, non sans frictions, à la Jeunesse Communiste, et notre amitié née à la direction du journal du collège Gabriel Péri a fait que, malgré les réticences de l’époque, nous avons pu nous retrouver, mener ensemble quelques actions solidaires et fraternelles.
Si pendant un temps nos univers se sont éloignés, je savais qu’il étudiait la médecine, s’intéressait de près aux maladies professionnelles, aux effets de l’exploitation sur la santé des ouvriers, qu’il expérimentait les arguments de l’autogestion, de l’écologie, qu’il était à la recherche d’une autre manière d’agir sur le monde.
Ça a été, par exemple, l’ouverture de la première librairie d’Aubervilliers, Le Temps de Lire, avenue de la République, alors que n’existait qu’une Maison de la Presse dont les murs accueillent aujourd’hui Les Mots Passants. J’ai pu y présenter Meurtres pour mémoire au début des années 80, et un des évènements dont Jacques Salvator était le plus fier, en qualité de libraire, c’est d’avoir, en 1979, invité un proscrit à revenir dans la ville qui l’avait exclu, pour y présenter son livre On chantait rouge. Une salle pleine à craquer, malgré les affiches lacérées, et l’ancien maire d’Aubervilliers, Charles Tillon, retraçant l’itinéraire d’un fils de paysan devenu ministre du général de Gaulle après avoir créé l’un des principaux mouvements de résistance armée, le Francs-Tireurs et Partisans.
Cette préoccupation pour la mémoire blessée est un des invariants de la pensée de Jacques Salvator, et le peuple kabyle sait ce qu’il lui doit, et le peuple tunisien aussi, et les Haïtiens chassés par la dictature et la misère se souviennent des efforts qu’il a déployés pour rappeler le souvenir de Toussaint Louverture, de Léger Félicité Sonthonax. Sa préoccupation quotidienne pour l’avenir du peuple palestinien qui ne portait pas d’ombre en lui sur le respect qu’il avait du peuple israélien.
Dans une ville qui a longtemps été hémiplégique, il a tenu à faire vivre la mémoire de tous ceux qui, au long des années, ont créé ce point aussi particulier sur la carte du monde qui s’appelle Aubervilliers.
On y avait oublié la marque laissée par un  Prix Nobel de la Paix, ce qui n’est tout de même pas rien ! Et aujourd’hui, quoi qu’on en ait, le nom de Léon Jouhaux vibre sur le plan de la ville, comme celui de Madeleine Vionnet, de Germaine Tillion ou de Mouloud Aounit.

Dans cette ville qui n’en est pas avare, Jacques Salvator a fait le pari de refuser tout sectarisme, d’être à l’écoute et pour cela de vivre parmi les siens, au plus près, un peu comme les prêtres ouvriers et les religieuses observés pendant son enfance. Devenu maire, il est resté disponible, chacun pouvait interrompre son parcours à vélo, l’attendre à un feu rouge, lui poser une question, s’enquérir de l’état d’avancement d’un dossier. La mairie était ouverte, transparente, les responsables accessibles. Je me souviens encore de ces réunions périlleuses organisées dans tous les quartiers pour aborder les sujets qui fâchent, comme la sécurité.
Certains, ignorants du parcours de Jacques Salvator, ont considéré que c’était là une marque de faiblesse et ne l’ont pas épargné, allant bien au-delà de la caricature. Jacques savait que c’est souvent là le prix à payer pour l’engagement politique et il a toujours refusé de répondre en pliant les genoux, en s’abaissant au niveau d’où fusaient les insultes.
Et si cette ville, Aubervilliers, a pu se montrer ingrate à son égard, le temps a déjà fait son travail. Depuis les quelques jours qui nous séparent de son dernier sourire, les témoignages s’amoncellent, les anecdotes se multiplient, et l’on ne cesse de citer tous les domaines dans lesquelles Jacques a œuvrer : l’immense effort en faveur de l’école, la lutte contre les marchands de sommeil, la modernisation des réseaux de transports, la rénovation de l’habitat indigne avec Évelyne bien sûr, l’attractivité économique du territoire, l’accueil des étudiants, l’implantation, confirmée aujourd’hui même, du plus grand espace de savoir d’Europe, le campus Condorcet…
Pour terminer, Jacques, je voulais te dire que je me souviens de nos conversations adolescentes, entre celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas…
La foi qui t’animait a été la clef de voûte de ton existence, et en espérant un monde meilleur, tu n’as jamais négligé tes efforts pour faire en sorte que celui d’ici soit plus respectueux des hommes.
J’espère que tu es là où tes convictions profondes te conduisaient.
Mais saches que tu es également là, bien au chaud, dans nos cœurs.

Didier Daeninckx

 

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Commentaires
A
oui très bel hommage au plus que jamais regretté Jacques Salvator qui serait surement , comme beaucoup, écoeuré de voir dans quel état l'équipe municipale lui ayant succédé a mis sa ville aujourd'hui ....et Artana Artana , excellent roman de Didier Daeninckx trace un portrait obscur malheureusement très réaliste
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H
Très bel hommage !
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